J'ai su dès le premier jour que je la tuerais, roman
EAN13
9782841877577
ISBN
978-2-84187-757-7
Éditeur
Archipel
Date de publication
Collection
Suspense
Nombre de pages
254
Dimensions
10 x 10 x 2 cm
Poids
288 g
Langue
français
Code dewey
849
Fiches UNIMARC
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J'ai su dès le premier jour que je la tuerais

roman

De

Archipel

Suspense

Indisponible

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DU MÊME AUTEUR

Qu'importe le boulevard où tu m'attends, Michel Lafon, 1997.

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Montréal, Québec, H3N 1W3.

eISBN 978-2-8098-1304-3

Copyright © L'Archipel, 2006.

Prologue

J'ai su dès le premier jour que je la tuerais.

Je vais commencer par la fin, la toute fin, ce bout de la route qu'on atteint pour ne plus jamais repartir, plus jamais regarder en arrière. Quand on en est là, il n'y a plus d'issue.

Je commencerai par la fin, et puis doucement, doucement, je remonterai le temps, pas trop vite, mais pas trop lentement et, peu à peu, quand le moment viendra, si le moment vient, je vous parlerai d'elle. Et je vous dirai tout, de ses silences, de ses ombres, de ses facettes que je croyais connaître tant j'en étais l'otage.

J'essaierai de vous décrire ses gestes, ses sourires esquissés, les larmes sèches qu'elle mouillait pour faire croire, persuader, enfermer dans le doute... Je vous dirai tout, enfin, le plus possible, et peut-être qu'à ce moment-là vous comprendrez pourquoi je l'ai aimée.

Sauf qu'il n'y a rien à comprendre...

Il n'y a jamais d'âge pour mourir. Il n'y en a pas non plus pour tuer.

Il ne suffit pas toujours d'avoir une bonne raison.

Je commencerai par la fin. En fait peut-être pas...

1

Ma déprime a commencé le jour où il a plu sur Évian, sur le lac, le golf, la promenade qui longe l'eau grise aux heures balayées par un vent froid.

J'avais décidé d'aller là-bas presque par hasard...

Évian m'avait croisé quelques années plus tôt.

Parfois, on a juste envie de partir, et les endroits décident. On prend un train de nuit humide et triste, au petit matin on se retrouve à Évian.

Rien de spécial dans ma tête, juste cette envie récurrente de plus d'air, plus de distance entre moi et ce qui pour d'autres aurait ressemblé à une belle vie.

C'était l'idée du départ qui me séduisait. J'avais souvent envié ceux qui avaient le cran de tout envoyer valser en un quart d'heure. Ils avaient assez d'inconscience ou de volonté pour changer d'existence. Tout le monde descend, dernière sortie avant la mort !

Je ne voulais pas changer d'existence, juste voir un autre ciel pour un moment. Et puis j'en avais marre de Camille, Camille qui me le rendait bien, Camille que je n'avais plus touchée depuis longtemps...

Elle disait vivre au jour le jour, affirmait que le temps lui était compté. Encore ces trucs qu'elle avait dans la tête, l'absolue certitude qu'elle mourrait jeune, d'un cancer ou d'un accident : une fixation !

Je ne voulais pas la quitter. Elle faisait partie de moi, elle appartenait à des univers rassurants... Leurs repères absents me manqueraient...

Je n'avais pas le courage de l'abandonner. Je me persuadais qu'elle serait perdue sans moi, même si je sentais que ce n'était pas la vérité. J'avais beau être psychiatre, je n'étais pas très à même d'analyser les événements de ma vie. Je le savais depuis toujours : être attentif aux problèmes des autres n'aide pas à résoudre ses équations personnelles...

Souvent, d'ailleurs, je n'essayais même pas. Je me laissais porter. Je regardais ce qui m'entourait se désintégrer sans intervenir.

Sauf que cette fois j'avais décidé de prendre l'air, de changer de quotidien. Ça durerait ce que ça durerait. J'avais des vacances à rattraper : mes patients pourraient vivre sans moi.

Après, je verrais, il serait toujours temps...

Je m'étais retrouvé à l'Hôtel du Golf, le même que dans mes souvenirs – vue sur le lac, chambre identique à celle que nous avions occupée, Camille et moi, huit ans plus tôt !

À l'époque, nous faisions une fois par an le tour des palaces d'Europe. Des bords de la Méditerranée au lac de Côme, d'année en année, nous nous étions persuadés que notre existence était enviable. Elle était faite de luxe et de ces plaisirs inabordables qu'on s'offre sans compter pour se donner l'illusion d'être heureux... Et pour les autres nous l'étions. Même nous, nous y croyions.

Si nous nous étions regardés dans un miroir dans ces moments-là, nous aurions forcément trouvé que nous avions l'air heureux.

Quand mon envie de partir m'avait une fois de plus rattrapé, c'était Évian qui m'était revenu à l'esprit, une évidence.

Et puis, le deuxième jour, il s'était mis à pleuvoir, et moi à déprimer.

Oh, ce n'était pas un de ces blues qui vous clouent au lit par peur de croiser une lueur de jour, ce genre de tristesse définitive qui essaie de vous persuader que rien n'a d'intérêt, ni vous ni les autres... Non, c'était une déprime balbutiante, quelque chose d'insidieux... Je savais que si je n'y faisais pas attention, ça ne mettrait pas longtemps avant de se transformer en vraie mélancolie. Et derrière ce nom anodin se cachait tout de même un certain nombre de conséquences fâcheuses, voire invivables. J'avais soigné assez de mélancoliques pour avoir une notion de l'étendue du désastre à venir.

Septembre était encore agréable, pourtant. Mais, le soir, les bords du lac étaient glacés. J'avais rêvé de couchers de soleil sur Lausanne. À la place, j'avalais des embruns mélangés à la pluie et regrettais de n'avoir pas emporté ma grosse veste en cuir.

Je commençais à grelotter en rentrant à l'hôtel. Je me demandais même si Évian était une bonne idée. J'étais là depuis deux jours et déjà je pensais à repartir.

Le soir, au restaurant de l'hôtel, je venais juste de m'asseoir quand je t'ai aperçue, seule à une table, pas très loin sur ma gauche.

C'est souvent pathétique quelqu'un qui dîne seul. Il n'a en face de lui que le vide, ou la page d'un bouquin sur lequel il fait semblant de se concentrer. Seul à une table, il semble écouter la rumeur ambiante, les conversations des voisins, les rires des femmes heureuses qui l'indiffèrent...

Toi tu ne semblais pas triste, tu étais rayonnante.

Je ne regarde plus les femmes depuis longtemps.

Je les vois mais mes yeux ne s'attardent pas.

Une partie de moi est cassée à jamais, un ressort, un déclic.

C'est peut-être Camille.

Elle a su m'enlever beaucoup de ma confiance en moi... Elle m'a tellement dit que l'amour avec moi ne correspondait pas à ses attentes que j'ai glissé peu à peu vers le doute. Je ne m'imagine même plus plaire à une femme, encore moins la rendre heureuse...

Pourtant je ne suis pas repoussant. Une cinquantaine récente sur un visage pas trop marqué, encore beaucoup de cheveux à un âge où certains pourraient lancer une souscription pour en récupérer, plutôt mince et le ventre plat. Je ne fais vraiment aucun effort pour garder la ligne. D'après ceux qui me connaissent depuis mes années d'étudiant en médecine, je n'ai pas beaucoup changé, pas trop vieilli. Je n'ai fait que devenir moi-même, de plus en plus ; comme si depuis le début le moule était le bon et qu'une bonne fée avait fignolé les détails. Je cultive une élégance toute britannique et un certain flegme qui va de pair, mais je donne une impression de fragilité. Je semble aussi cassant que le verre. Je me déplace lentement, avec une économie d'efforts et l'attitude étudiée de quelqu'un qui passe par hasard dans la vie et regarde tout avec détachement...

Dans mon service, à l'hôpital, ils doivent me surnommer E.T., celui dont on ignore s'il est de ce monde ou en visite sur la Terre. Je prodigue conseils et recommandations d'une voix douce, à la limite de l'audible. Je ne cherche pas mes mots mais je les prononce si faiblement que souvent mes interlocuteurs me font répéter.

J'en joue, je m'en délecte, j'apprécie tout ce qui fait qu'aux yeux des autres j'ai réussi, je suis devenu une figure, presque un exemple.

Lorsqu'on me connaît assez pour obtenir de ma part des aveux, je finis par confier que mon parcours n'a eu d'autre but que celui de devenir ce que je suis aujourd'hui : un bourgeois qui rêve d'appartenir au monde de l'art.

La peinture était ma vie, je suis passé à côté.

Il y a aussi certains aspects de moi que je n'ai pas révélés... Et ils n'ont rien à voir avec les contes de Perrault, ils feraient plutôt partie des ...
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